Du Conservatoire à la thérapie
Du Conservatoire
À la thérapie
l'art et l'âme en écho
Journal
Octobre 2023
Née en 1988, Sophie Del Duca est une musicienne, psychologue et pédagogue belge. Après avoir étudié le piano au Conservatoire Royal de Bruxelles, elle s’est formée au management d’artistes et à la psychologue clinique, ce qui l’a amené à s’interroger sur les processus psychiques qui sont à l’œuvre dans la création. Elle partage aujourd’hui son temps entre la thérapie, le piano et l’enseignement.
Dans une conversation avec Leila Radoni, journaliste et productrice dans le secteur de la musique, elle revisite les choix qui ont marqué son parcours.
Tu as opté pour des orientations successives qui semblent fort éloignées mais sont pourtant complémentaires. Avais-tu déjà en tête l’idée d’un fil rouge entre tes différentes formations ?
S.D. : Non, les choses se sont dessinées progressivement… déjà en ayant eu la surprise d’être admise au Conservatoire. C’était une expérience merveilleuse : s’immerger dans ses murs, s’ouvrir à la communauté musicale, être là où ça vibre fort en soi. J’ai gardé des liens indéfectibles, des souvenirs très joyeux, mais je sentais que j’irais explorer d’autres champs.
D’autres champs, comme le management d’artistes d’abord ? Qu’est-ce qui t’a amené à l’étudier ?
S.D. : Mes propres nœuds. La brutalité que je ressentais à devoir répondre à des exigences économiques alors que je voulais juste être pleinement immergée dans un processus musical et créatif. S’ouvrir à une vocation artistique implique des vides et des pleins : ces moments où tu es inspirée, en mesure de rassembler de l’énergie, et ces moments plus lents, de maturation des idées. Cela ne colle pas toujours avec l’urgence de la rentabilité !
Oui, et face à ces vides, il y a parfois une souffrance indicible…
S.D. : Exactement. Parce que cela touche l’engagement, qui est une notion qu’on peut décliner sur le plan musical et thérapeutique. C’est en s’engageant à remplir ces vides, par et pour nous-mêmes, que nous sommes le plus disposés à être au monde. Il a fallu quelques années de pratique spirituelle pour que j’intègre l’idée et que je parvienne à l’appliquer…
D’où ton idée de travailler en parallèle l’engagement pianistique et thérapeutique ?
S.D. : Je n’ai pas fait le lien immédiatement, il a d’abord fallu que je me forme à la psychopathologie avec l’intention de mieux cerner la réalité psychique des musiciens, puis à d’autres réalités cliniques. À ce stade, je pensais ne faire usage que de la parole, je n’étais pas encore ouverte à des médiations qui allaient mobiliser l’ensemble de la personne, le rapport au corps, à la nature, à la musique, etc.
Quelle a été ta porte d’entrée dans le champ de la psychologie et où te situes-tu aujourd’hui ?
S.D. : C’est en feuilletant, adolescente, le Complexe du Homard de Françoise Dolto que j’ai décidé d’être analyste. Ça s’annonçait déjà très complexe ! (rires) Au fond, cela a toujours été ma première vocation : la psychanalyse, dans son rapport à l’inconscient, à l’écriture, au langage. On peut dire que je suis passée de Freud à Lacan… à Winnicott et Melanie Klein. Par après, dans le cadre de ma thèse sur les violences conjugales, je me suis ouverte à d’autres approches en thérapie familiale. La pratique du yoga a aussi été une révélation. On apprend à donner ce qui est juste, à s’ouvrir au silence, à travailler la qualité de présence.
Quels ont été les leviers qui t’ont amené à développer la PianoTherapy ?
S.D. : Après avoir eu l’occasion d’enseigner le piano et avoir fait des rencontres fortes, j’ai compris à quel point l’instrument pouvait soutenir le psychisme, au sens où il engage le corps, apaise l’esprit et agit comme un exutoire créatif. Je me suis sentie prête pour ancrer le projet dans la matière et allier mes deux passions.
Maria João Pires a dit : « Au piano, il faut d’abord aider l’élève à être dans son corps, sans prétention d’aucune sorte, simplement être ». Qu’en penses-tu ?
S.D. : Cela résume ma méthodologie. Ici, je vais aider le patient à travailler l’authenticité de ses émotions, par l’écoute clinique d’abord, mais aussi et surtout, par une mise en mouvement autour du piano, qui va révéler ses tensions corporelles, son rapport à la respiration, lesquels vont apporter des informations précieuses sur ses facilités, ses blocages et ses peurs. À partir de là, on peut l’aider à être, puis éventuellement à se dépasser.
La Walk & Talk, une approche différente · 2
La Walk & Talk,
Une approche différente
Rencontre avec Pauline Martin (Part. 2)
Journal
Octobre 2023
J’ai eu le plaisir de discuter de ma pratique de la Walk&Talk avec Pauline Martin, dans le cadre de son étude exploratoire intitulée « Qu’est-ce qui motive les thérapeutes à choisir et pratiquer la Walking Therapy ? », réalisée à la Faculté de psychologie de l’Université catholique de Louvain.
— Lire le début de l’entretien (Part 1)
Pauline : Pour quels types de patients recommandez-vous la Walk&Talk ?
S.D. L’ajustement au cas par cas est fondamental : pour une personne souffrant d’obésité, coupler la parole à une activité physique peut être efficace ; en revanche, pour une patiente anorexique qui marche déjà quatre heures par jour, cela ne conviendrait pas. Cela soulève la question des mouvements internes…
Pauline : Des mouvements internes ?
S.D. : C’est-à-dire qu’une personne en souffrance a tendance à cristalliser un symptôme et à suspendre le temps par la rumination. Introduire l’idée de marcher, d’insuffler du mouvement, c’est apporter une forme de changement. Cela permet d’activer un processus de transformation…
Pauline : Oui… Vous parliez notamment de la capacité à contempler en début d’entretien…
S.D. : Certains patients, malgré la beauté environnante, ne cessent de fixer leurs pieds pendant la séance. Parfois, je les interpelle : « Regardez, un petit écureuil », et l’espace d’un instant, mon intervention les sort de leur monologue intérieur et les invite à contempler ce qui les entoure. Ils renouent alors avec la gratitude, plutôt que le manque. Je les rassure en leur disant qu’ils sont en sécurité dans cet espace magnifique.
Pauline : Vous montrez le positif… Est-ce qu’il y a pour vous des aspects différents au niveau du cadre entre la Walking Therapy et une thérapie classique en cabinet ?
S.D. : Les deux principaux avantages sont la possibilité d’échapper au regard du thérapeute et de réintroduire du mouvement. En thérapie, nous restons confinés dans le champ des discours, des mots signifiants, donc dans des mouvements intellectuels. Durant la Walk&Talk, nous nous décentrons physiquement du problème, ce qui réinscrit le corps dans l’espace thérapeutique.
Pauline : Il y a cette recherche, comme vous l’évoquiez tout à l’heure, de ramener le patient dans le corps. C’est ce que le cadre de la Walk&Talk permet…
S.D. : Oui. Amener le patient à contempler la beauté, à ralentir… Actuellement, je travaille avec des profils très rapides, submergés par des charges de travail importantes. Les inviter à pratiquer du slow piano ou des promenades thérapeutiques les aide à se détacher de l’ultra-compétition et de l’hyper- vigilance. Ils peuvent expérimenter un nouveau rapport au temps.
Pauline : Au niveau de vos attitudes thérapeutiques, est-ce que vous observez des différences entre les deux pratiques ?
S.D. : Déjà, c’est assez amusant d’observer leurs manières de marcher : certains se collent à moi, d’autres se pressent contre un bord du chemin, et d’autres encore sursautent si l’on croise un animal ou un passant, ce qui influence ma réponse thérapeutique. J’ai l’impression d’être davantage musicienne dans la forêt : la promenade engage mon corps, mon ouïe, et parfois le toucher, s’il faut éviter un danger en pressant le bras d’un patient.
Pauline : Il y a toute une réflexion autour des lieux dans lesquels vous amenez vos patients ?
Oui, effectivement, les petits parcs sinueux avec des montées et descentes peuvent être angoissants pour les patients. Un jour, une patiente s’est sentie oppressée au parc Tenbosch et a demandé à s’asseoir. Les forêts, avec leurs chemins droits et vastes, sont souvent plus apaisantes, contrairement aux parcs qui présentent trop de barrages visuels. Les environnements urbains bruyants et chaotiques ne sont pas très propices à la détente non plus.
Pauline : Est-ce que vous voyez des contre-indications à la pratique ?
S.D. : Oui, je préfère éviter les marches en forêt en fin d’après-midi et soirée pour des raisons de sécurité. Par ailleurs, la pratique est réservée aux patients stabilisés. Si un patient arrive anxieux, il vaut mieux minimiser les risques en l’apaisant au préalable par des exercices de respiration à l’intérieur et vérifier s’il est apte à participer à l’exercice.
Pauline : Selon vous, est-ce qu’il y a une école thérapeutique plus adéquate avec la Walking Therapy ?
S.D. : Je fais appel à plusieurs approches : la psychanalyse pour l’écoute des rêves et de l’inconscient, ainsi que des métaphores systémiques pour aborder le transgénérationnel en lien avec l’écosystème. Par exemple, une patiente en deuil a trouvé une fleur en forêt pour honorer sa grand-mère disparue. Elle a créé un petit autel symbolique pour marquer sa mémoire, utilisant la forêt comme espace de rituel personnel.
Pauline : Quel impact la Walking Therapy a-t-elle eu sur votre pratique ?
S.D. : Je ne peux plus m’en passer et j’ai vraiment envie d’en faire plus. J’apprécie beaucoup l’alternance des différents types de thérapie ; les approches holistiques offrent des possibilités fantastiques.
Pauline : Vous avez besoin de diversité…
S.D. : Oui, parce que cela donne de meilleurs résultats. Bon, on ne va pas diversifier dans tout et n’importe quoi, et proposer de la « barbecue therapy » (rires), mais si l’intégration de la nature permet de mettre en mouvement un problème spécifique, pourquoi pas !
Pauline : Nous arrivons à la fin de l’entretien. Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez ajouter ?
S.D. : Non, je crois que nous avons abordé l’essentiel.
Pauline : Merci alors !
S.D. : Merci à vous !
Martin, Pauline. Qu’est-ce qui motive les thérapeutes à choisir et pratiquer la Walking Therapy ? Étude exploratoire. Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation, Université catholique de Louvain, 2024. Prom. : Brevers, Damien ; de Condé, Hubert
La Walk & Talk, une approche différente · 1
La Walk & Talk,
Une approche différente
Rencontre avec Pauline Martin (Part. 1)
Journal
Octobre 2023
J’ai eu le plaisir de discuter de ma pratique de la Walk&Talk avec Pauline Martin, dans le cadre de son étude exploratoire intitulée « Qu’est-ce qui motive les thérapeutes à choisir et pratiquer la Walking Therapy ? », réalisée à la Faculté de psychologie de l’Université catholique de Louvain.
Pauline : Pouvez-vous m’expliquer le rapport que vous aviez avec la marche avant de commencer la Walking Therapy ?
S.D. : Durant une longue période, mon rapport à la marche était presque utilitaire et orienté par mes objectifs professionnels. J’ai eu une révélation lors d’un séjour en Suisse, face à l’étendue du lac. Après une période d’activité frénétique, j’ai ressenti le besoin d’explorer un espace de passivité pour harmoniser mes polarités. Il devenait nécessaire d’être plus contemplative, d’accepter de me poser et de me reposer. Ce voyage en Suisse a marqué une césure décisive. J’ai déménagé près d’une forêt, et chaque jour, j’ai le plaisir d’observer deux magnifiques écureuils, qui enchantent également mes patients.
Pauline : J’entends donc un appel à se reconnecter à la nature…
S.D. : Absolument, comme un besoin de redescendre dans mon corps après une période marquée par les activités intellectuelles. Par ailleurs, je me suis aperçu que la forêt m’était assez étrangère… Il y a un manque criant dans notre parcours scolaire, où les éléments de la nature sont rarement abordés.
Pauline : Pouvez-vous m’expliquer comment vous avez découvert la Walking Therapy ?
S.D. : J’ai d’abord été sensibilisée à la Walking Therapy par une publicité sur une formation. Ensuite, par la lecture d’un article de Bernard Ollivier[1], qui emmenait des jeunes, marqués par des vécus assez lourds, marcher pendant trois mois à raison de 25 kilomètres par jour. Les effets de la pratique étaient spectaculaires et durables. En retrouvant leur chemin, ces jeunes redonnaient du sens, une direction et une orientation à leur existence : une idée qui me plaisait beaucoup.
Pauline : Et qu’est-ce qui vous a amené à intégrer la Walking Therapy à votre pratique ?
S.D. : Avant tout, c’était le besoin de dynamiser ma pratique et d’allier mon bien-être personnel à celui de mes patients, en créant un cadre souple où l’exercice thérapeutique peut se dérouler aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur. Cela m’a permis d’explorer ma créativité à travers de nouvelles métaphores et d’incorporer une dimension plus spirituelle. La nature est un miroir extraordinaire…
Pauline : Est-ce que vous vous souvenez de comment vous vous sentiez la première fois où vous l’avez intégrée ?
S.D. : Oui, je me rappelle qu’une de mes patientes, qui venait de rompre après une longue relation, avait choisi un créneau très tôt le matin, vers 7h30, avant d’aller travailler. C’était en plein hiver, le lac était gelé, et nous étions presque seules dans une atmosphère de calme absolu. Ce cadre apaisant lui a offert un véritable soulagement. J’ai pensé qu’il n’était pas nécessaire d’attendre le soleil pour marcher avec eux…
Pauline : Une première expérience positive…
S.D. : Oui… Une autre fois, j’ai rencontré une patiente très timide, enveloppée dans sa cagoule et son anorak, laissant à peine apparaître ses yeux. En descendant de l’immeuble, je lui ai dit : « venez, on va marcher ». Elle ne m’a pas regardée une seule fois. Nos interactions se sont limitées à nos voix. En nous disant au revoir, nous avons simplement échangé un signe de la main. Je l’ai accompagnée d’une manière presque éthérée, comme une présence discrète qui marchait silencieusement à ses côtés.
Pauline : Vous l’avez intégré intuitivement avec certains patients, car c’était d’une certaine façon plus juste de les accompagner ainsi. Si vous deviez choisir un événement significatif qui vous a amené à proposer la Walking Therapy, lequel serait-il ?
S.D. : Un moment décisif a été la prise de conscience que lorsque le thérapeute prend soin de lui-même, il a quelque chose de précieux à offrir. L’attention que je porte à mes propres besoins est essentielle. Si mon métier devient une contrainte, ma présence en pâtit. En pratiquant d’une manière qui me semble juste, je peux offrir quelque chose de plus authentique.
Pauline : C’est-à-dire ?
S.D. : Lorsque le patient voit que le thérapeute prend du plaisir à une activité, cela peut le surprendre. Il pourrait se demander : « Je ne paie pas ce professionnel pour qu’il prenne du plaisir. Son engagement sera-t-il aussi sérieux à l’extérieur qu’en cabinet ? » Pourtant, je maintiens une écoute active pendant 45 minutes, en mobilisant ma créativité. Je prends souvent des notes vocales que je consigne ensuite dans le dossier pour assurer un suivi.
Pauline : Oui, il pourrait se demander : est-ce qu’il travaille ou est-ce qu’on va simplement papoter ?
S.D. : Exactement. Ce n’est pas une simple discussion informelle. Le cadre reste intact, dans le respect du temps et du vouvoiement. Ce cadre se déplace dans un espace naturel, où la nature sert de support, et bien au-delà…
[1] Bernard Ollivier, « Expérience de marche thérapeutique pour adolescents en grande difficulté », C@hiers du CRHiDI. Histoire, droit, institutions, société [En ligne], Vol. 32 - 2009, 285-288 URL : https://popups.uliege.be/1370-2262/index.php?id=829.