Un dialogue au bord du feu - Hélène Grimaud par Stéphane Barsacq
Un dialogue au bord du feu
- Hélène Grimaud par Stéphane Barsacq
Journal
2025
Renaître ! dit-elle.
Oui, « ce n’est encore pas assez d’être né : il importe de se remettre au monde, et de l’aimer ».
Les entretiens de Stéphane Barsacq et d’Hélène Grimaud sont un élixir de délicatesse et un ravissement pour les yeux ; une réflexion intime et profonde sur la musique, la nature et le dépassement de soi.
Une vie dédiée à l’art et à la transformation
La pianiste nous livre, par touches transformatrices, les préceptes d’une générosité divine : une vie nourrie par la musique, les loups, la philosophie et la poésie. Elle accueille avec ferveur ce qui doit advenir : un abandon céleste à la métamorphose, à ce que l’âme réclame.
Elle nous initie aux rencontres, aux réflexions étymologiques et mythologiques qui pénètrent le langage musical. Elle nous invite à embrasser un seul et même processus : celui d’une attention totale, à chaque instant.
La musique, langage universel et incorruptible
Dans le livre, elle hisse la musique au rang d’incorruptible, tel un langage qui recèle la vérité de l’être, une expression qui résiste à l’oubli, à l’effacement.
Et pour cause, faire cadeau de la musique à l’Autre, n’est-ce pas saisir ce qui brûle au-delà d’un texte musical, transmuter le feu en un éclat tendre et sublimer l’écriture jusqu’à ce qu’elle devienne passage, renoncement, élan hors de l’abîme ?
Elle a appris, par l’imaginaire, à transcender le corps-à-corps piano/orchestre incandescent et luminescent, en un dialogue intense, presque charnel, où chaque note a la candeur et la fougue de l’enfance retrouvée.
Interpréter l’implicite, c’est savourer l’embrasement de deux mondes : des questions naïves aux réponses incertaines, des voix taquines aux silences voilés, des bruissements de désir qui éclatent entre deux corps, deux cordes.
Hélène Grimaud, à la fois soliste et partenaire, nous enseigne une chose : « Il n’y a plus qu’à jouer, elle est faite pour cela », mais que le partenaire-piano le sache : elle est musique, vagues furieuses, soleil mordant et eaux imprévisibles ; elle accueille tout, et lui faudra apprendre à suivre ses fluctuations intrépides.
Une poétique exhalation féminine
J’aime penser qu’elle renaît comme une exhalation féminine, pleine et multiple, dont les contours échappent à toute réduction. Elle savoure intensément tout ce qu’elle touche, voit et goûte. Elle se fait louve, silhouette qui rôde, et refuse avec fermeté – portée par la fougue d’un instinct irrévocable – tout ce qui n’est pas digne de l’amour.
Elle s’autorise une confession voilée sur Martha Argerich. Celle-ci vivrait une ascension continue, moins sur une échelle morale qu’en s’élevant sans cesse vers la plénitude d’elle-même, répondant à l’appel d’une volupté spirituelle. N’est-ce pas, en vérité, d’Hélène, dont on parle ici ?
La maîtrise pianistique, entre mémoire, présent et devenir
Au fil des entretiens, elle laisse résonner trois volontés musicales :
• Ne pas se confondre dans l’ivresse d’une passion virtuose ;
• Offrir une échappatoire aux haines dissonantes et autres éclats qui ne nous appartiennent pas ;
• Soigner par le silence les ombres laissées derrière soi.
C’est aussi une ode à la trinité du présent, du devenir et de la mémoire, trois sources essentielles. Le présent nous offre de goûter l’instant, sans rien attendre de plus. Le devenir ouvre les portes du possible, pour peu qu’on le désire ardemment et qu’on y mette l’amour nécessaire. Enfin, la mémoire éclaire le chemin parcouru, le voyage.
Mais la trinité majestueuse exige parfois l’oubli impérieux, pour laisser place à la vie qui doit advenir, non plus celle qui serait dictée par des attentes, mais celle qui serait vécue. Aussi, la pianiste aspire à la béatitude d’être juste là parmi les autres, « dans l’accomplissement et la promesse de son existence », en laissant place à l’incertain, l’inexact et l’erreur.
Des références lumineuses
Hélène Grimaud puise dans des nourritures affectives exigeantes, mêlant philosophie, littérature et musique : de Schubert à Jacques Viret ; d’Hilary Hahn à Philippe Jaccottet ; de Claudio Abbado à Wittgenstein, et tant d’autres…
Elle ne renonce à aucune des âmes amies qui l’accompagnent dans sa quête. Ce serait un déchirement de n’élire qu’un seul loup pour l’extraire, avec douceur, de la nuit de toutes les violences, tant il faut la force d’une meute entière pour défier les ténèbres.
Vertige d’un voyage d’hiver
L’alchimiste, inéluctablement pianiste, interprète et poète, sous la plume inspirée de Barsacq, nous conjure, sous l’écho des mots de Cocteau, que les poètes ne meurent pas. Ils cèdent simplement la place à leur véritable personne. Ils sont donc aussi peu morts que possible.
Restons-en là, suspendus à la dernière touche littérale, symbolique, allégorique… ou prophétique d’une inexorable renaissance en cours.
Sophie Del Duca
- Barsacq, S., & Grimaud, H. (2023). Renaître. Albin Michel. https://www.albin-michel.fr/renaitre-9782226452580
La PianoTherapy selon Sophie Del Duca
La PianoTherapy
selon Sophie Del Duca
Un voyage émotionnel
autour du son
Journal
2024
Vous êtes nombreux à me poser des questions sur la PianoTherapy : son fonctionnement, ses effets sur le psychisme, et même les preuves scientifiques de son efficacité. Afin d’y répondre, j’ai décidé d’éclaircir trois points essentiels qui, je l’espère, rendront cette approche thérapeutique plus facile à comprendre.
1. Comment se déroule une séance de PianoTherapy ?
La PianoTherapy est avant tout un processus personnalisé : chaque séance se construit en fonction de ce que le patient apporte, et chaque moment est influencé par sa manière de réagir aux propositions que je lui fais. Examinons trois exemples cliniques…
a) Réparer le lien et exprimer ses émotions : le piano pour apaiser la colère refoulée
J’ai accompagné un couple traversant une période difficile. La patiente, submergée par le stress et l’épuisement, ressentait une colère intense chaque fois que son bébé pleurait, ce qui révélait des aspects de son histoire personnelle jamais exprimés. Lors de nos séances, elle a partagé sa passion pour l’improvisation au piano. En effet, lorsqu’elle improvisait avec des modes pentatoniques orientaux, cela lui apportait un profond apaisement, comme un retour à sa maison intérieure. Son compagnon, quant à lui, trouvait une forme d’expression personnelle dans le chant.
En intégrant la musique dans leur relation – elle au piano, lui au chant –, ils ont pu se retrouver autour d’un morceau chargé de leur histoire d’amour. Ce moment partagé a apaisé leur enfant tout en leur permettant de libérer des émotions enfouies, de mieux se comprendre et de renforcer leurs liens de manière plus authentique.
b) Rompre avec la répétition : la musique comme voie de sublimation de la dépendance
Un autre patient, ancien pianiste, est venu pour travailler sur une dépendance et des blocages relationnels. Son addiction s’enracinait dans une quête de satisfaction immédiate. Pour progresser, il devait apprendre à différer ces envies et à apprécier la satisfaction dans un cheminement plus lent.
Réintroduire le piano dans sa vie a créé un espace où il pouvait renouer non seulement avec le plaisir du mouvement musical, mais aussi avec un mouvement affectif plus apaisant. Aujourd’hui, il joue à nouveau régulièrement, ce qui l’aide à maintenir un équilibre émotionnel.
c) Accueillir le ralentissement : le piano comme ancrage sensoriel face aux tensions psychosomatiques
La troisième patiente souffrait de douleurs articulaires chroniques liées à des tensions psychosomatiques. Aucun traitement n’ayant réussi à la soulager pleinement, nous avons pris un autre chemin, celui du ralentissement, en nous tournant vers des morceaux lents, teintés de mélancolie. En jouant très lentement, elle a pu relâcher ses tensions et apaiser une anxiété latente. Le piano est devenu pour elle un ancrage sensoriel, une connexion intime avec elle-même, loin des exigences de performance.
Note : Les noms et situations ont été modifiés pour garantir la confidentialité des patients.
2. Par quel mécanisme la PianoTherapy agit-elle sur le psychisme ?
En observant les exemples précédents, on peut dégager quelques perspectives :
a) L’intégration émotionnelle par la musique
La musique contourne les défenses psychiques, en atteignant des émotions souvent inaccessibles par la parole. Elle devient un moyen d’expression et un espace de réparation des blessures émotionnelles. Dans le premier exemple, chaque partenaire a pu exprimer sa vérité intérieure et renforcer le lien conjugal grâce à la musique.
b) La rupture des schémas répétitifs destructeurs
Dans le deuxième exemple, le piano agit comme un catalyseur de changement. En réintroduisant du mouvement et de la fluidité, la musique permet de transformer des schémas figés en une dynamique créative.
c) L’ancrage sensoriel et la reconnexion au corps
Enfin, dans le troisième exemple, le travail sur la lenteur du geste, la respiration et les sensations physiques a permis à la patiente de se reconnecter à son corps et à ses émotions. Cette attention aux sensations lui a permis d’établir un lien plus apaisé avec elle-même.
3. Quelles sont les preuves scientifiques de l’efficacité de la PianoTherapy ?
Pour répondre à cette question, il est utile de la diviser en trois parties complémentaires : les recherches en musicothérapie, les études spécifiques sur le piano, et les perspectives psychanalytiques sur de grands pianistes.
a) Les bienfaits de la musicothérapie dans la littérature scientifique
La musicothérapie est étudiée depuis des décennies et a prouvé ses effets sur la régulation émotionnelle, la réduction de l’anxiété et le traitement des troubles de l’humeur. Des figures majeures comme Benenzon, Alvin, et Wigram ont montré que la musique est un puissant vecteur de résilience psychologique.
b) Les études spécifiques sur la PianoTherapy
Michel Sogny, pianiste et pédagogue reconnu, a exploré comment le piano peut structurer le monde intérieur et exprimer des conflits inconscients. Il identifie huit points essentiels : la structuration de l’espace psychique, l’expression des conflits inconscients, le renforcement de la confiance en soi, l’ancrage sensoriel, la libération des tensions internes, la sublimation des pulsions, le développement de la concentration, et l’exploration du plaisir esthétique. Comme il aime le dire : « Du bout des doigts on peut palper sa propre sensibilité ».
De son côté, Katarzyna Walewska, dans son article Entre le divan et le piano, explore l’utilisation du piano en thérapie psychanalytique, notamment dans le travail avec les enfants, instaurant un dialogue non verbal qui facilite l’expression d’émotions refoulées et permet la résolution de conflits internes.
Enfin, d’autres études récentes, comme celle intitulée Classical Music Styles and Piano Therapy for Patients with Depressive Disorders, montrent que la pratique du piano, associée à des morceaux de musique classique, aide à atténuer les symptômes dépressifs, en favorisant la libération émotionnelle et la réconciliation intérieure.
c) Les perspectives psychanalytiques sur des musiciens célèbres
Les psychanalystes se sont eux aussi penchés sur le parcours des grands pianistes. Ainsi, les travaux de Vincent Estellon et Brigitte Lalvée sur Glenn Gould montrent comment le piano lui servait de refuge pour structurer son monde intérieur et gérer ses angoisses profondes, devenant un miroir de ses conflits inconscients. Je pense aussi aux écrits de Stéphane Barsacq, qui examinent l’expérience pianistique et spirituelle d’Hélène Grimaud, pour qui le piano représente un vecteur de transcendance et d’expression émotionnelle intense…
En somme, la PianoTherapy, soutenue par ces recherches, ouvre la voie à une approche thérapeutique novatrice, où peuvent se rencontrer le corps, la parole et l’inconscient.
Bibliographie
- Barsacq, S., & Grimaud, H. (2023). Renaître. Albin Michel. https://www.albin-michel.fr/renaitre-9782226452580
- Du, L. (2021). Classical Music Styles and Piano Therapy for Patients with Depressive Disorders. Revista Música Hodie, 21. https://doi.org/10.5216/mh.v21.66519
- Estellon, V. (2010). Glenn Gould, magicien et médecin hypocondriaque du corps-piano: Topique, n° 109(4), 223‑243. https://doi.org/10.3917/top.109.0223
- Friédérich, S. (2014). L’art et la méthode, Quelle a été l’évolution de la Fondation SOS Talents ? Classica Supplément in L’Express.
- Kalandarishvili, M. (2018, avril 3). Innovative Approaches to Musical Education. Forbes Georgia. http://sos-talents.ch/new/wp-content/uploads/2024/03/forbes-article.pdf
- Lalvée, B. (2011). Le pianiste et son désir : Du désir de la mère à l’interprétation comme désir, la construction Glenn Gould: Figures de la psychanalyse, n° 22(2), 91‑112. https://doi.org/10.3917/fp.022.0091
- Walewska, K. (2012). Entre le divan et le piano, un « psychodrame analytique »: Revue française de psychanalyse, Vol. 76(2), 545‑554. https://doi.org/10.3917/rfp.762.0545
L’éveil de soi au rythme des touches
L’éveil de soi
au rythme des touches
Entretien avec Patrick Pascal,
créateur du Gestalt-Piano
Journal
2024
Je vous présente Patrick Pascal, créateur du Gestalt-Piano, avec qui j’ai eu la chance de m’entretenir à la suite d’un heureux hasard sur Twitter. Comme moi, il combine sa passion pour la psychologie et le piano dans sa pratique thérapeutique. Sa démarche innovante résonne profondément avec ma propre approche de la PianoTherapy.
– Sophie : Je t’ai rencontré sur Twitter, c’était un véritable coup du destin. Je voulais commencer la PianoTherapy et tu avais commenté une citation de Cioran sur mon profil. Ça m’a paru complètement fou de lire sur ta page : Gestalt Piano. Très peu de gens pratiquent cela en Europe. Aux États-Unis, il y a une ou deux personnes, et une autre en Roumanie. Il y a beaucoup de musicothérapeutes, mais je ne sais pas si tu connais d’autres personnes qui font cela exclusivement autour du piano ?
– Patrick : Je ne connais pas de thérapeutes qui utilisent les outils de la Gestalt associés à une pratique instrumentale dont la finalité est de se sentir soi-même sur scène. J’en ai beaucoup parlé autour de moi, que ce soit dans mon école de psychologie, parmi mes collègues de piano ou tout simplement ma famille et mes amis et aucun ne connaissait une telle approche. C’est pourquoi je me suis intitulé “créateur du Gestalt-Piano”.
– Sophie : Est-ce que tu peux nous raconter ton parcours ? Qu’est-ce qui t’a amené à la musique ?
– Patrick : Je viens d’une famille d’artistes et de musiciens, tous amateurs sauf mon grand-père paternel qui était peintre. J’ai commencé le piano à l’âge de 4 ans, et des dons ayant été rapidement détectés, ma mère m’a inscrit au Conservatoire. À l’adolescence, des problèmes de trac sont apparus. Être sur scène et exposé au regard des autres me faisait perdre beaucoup de mes moyens. Encouragé par mes professeurs, je me suis accroché et j’ai continué mon parcours au conservatoire que j’ai terminé en remportant un prix d’excellence à l’unanimité du jury.
– Sophie : Comment la psychologie est-elle entrée dans ta vie ?
– Patrick : Adolescent, j’écoutais à la radio Françoise Dolto qui me touchait beaucoup. Je ne me suis décidé cependant à consulter un thérapeute que bien plus tard. Ensuite, j’ai rencontré un pianiste amateur qui était en formation de thérapeute à l’École Parisienne de Gestalt. J’ai donc découvert la Gestalt à cette occasion. J’ai trouvé un thérapeute à l’Institut de Formation Arnaud Sebal (IFAS) et je me suis aussi inscrit à leur formation pour devenir moi-même thérapeute. J’ai trouvé en l’IFAS une bienveillance et un non-jugement qu’il me fallait pour changer de manière significative.
– Sophie : Est-ce que ton idée de faire du Gestalt-Piano vient de là ?
– Patrick : L’idée, oui, mais le Gestalt-Piano n’a vraiment pu prendre forme que grâce à une formation complémentaire que l’IFAS proposait : le Gestalt-Théâtre. Il m’a permis d’expérimenter vraiment les outils de la Gestalt sur scène qui m’ont énormément aidé à gérer le stress et le regard du public. J’en profite pour remercier chaleureusement la formatrice de l’école et comédienne Catherine Cyler. J’ai réalisé alors qu’il y avait un potentiel similaire à exploiter avec le piano et la musique en général. Travaillant sur la confiance en soi et la gestion du stress, le Gestalt-Piano peut donc s’appliquer à tous les artistes : instrumentistes, danseurs, comédiens et toute personne qui veut ou doit se produire en public. Pour cela, j’utilise les outils de la Gestalt pour les aider à mieux se déployer sur scène.
– Sophie : Tu peux peut-être en expliquer un…
– Patrick : Un des outils, et qui pour moi est fondamental, est l’Ici et Maintenant. En apportant de la conscience, de la présence sur chaque note que l’on joue Ici et Maintenant (je précise que cela n’a rien à voir avec le contrôle), le jeu, la musicalité et la technique changent du tout au tout. Dans la Gestalt, les prises de conscience sont aussi corporelles, tout comme l’est notre mémoire. On apprend et retient mieux avec et par le corps. Cela m’amène à parler de la Technique Alexander que j’ai longtemps pratiqué et qui est une méthode posturale qui m’a également beaucoup aidé. La manière dont on utilise son corps a un impact sur tout notre jeu. La qualité du son, par exemple, vient de là.
– Sophie : En PianoTherapy, je propose souvent à mes patients de pratiquer le slow piano. Je leur demande de jouer à 40 au métronome, de ralentir au maximum le tempo. Ce processus apaise ceux qui se trouvent dans la compétition et la performance, souvent submergés par le stress. Au début, ils le perçoivent comme un exercice mathématique, puis cela les ramène progressivement à la musique et à la pleine conscience. En augmentant peu à peu le tempo, ils parviennent finalement à jouer avec plus de fluidité. Travailler avec un métronome très lent peut même plonger certains dans un état presque méditatif.
– Patrick : Liszt disait : “Je ne connais pas assez bien ce morceau pour le jouer lentement.” Cette phrase m’a longtemps intrigué quand j’étais jeune étudiant. Travailler lentement, prendre son temps est essentiel. Mais cela peut ne pas être suffisant pour jouer au tempo ensuite. La clef est comment on travaille : dans quelle disposition je suis, dans quelle intention, dans quelle émotion et comment je me sens dans mon corps en travaillant lentement. De plus, travailler et jouer lentement en pleine conscience et en étant bien dans son corps permet d’ancrer un texte très rapidement.
– Sophie : Qu’est-ce que la thérapie t’a apporté au niveau de ta pratique instrumentale ?
– Patrick : Cela m’a apporté beaucoup de fluidité, d’aisance et de liberté. Être serein avec le regard des autres m’a permis d’être moi-même au piano.
– Sophie : Peux-tu expliquer comment se déroulent tes séances ? Combien de temps durent-elles ? Faut-il une tenue particulière ?
– Patrick : Il n’y pas de tenue particulière, juste être à l’aise car nous faisons des méditations et parfois des exercices corporels. J’organise sept sessions de 3 à 4 heures selon le nombre d’inscrits, avec des exercices par groupes de trois.
– Sophie : Pourquoi des groupes de trois personnes ?
– Patrick : Il y a des exercices où deux personnes partagent sur un sujet et la troisième observe. Le poste d’observateur est très formateur. On apprend parfois plus dans l’observation que dans l’action.
– Sophie : Est-ce que les participants jouent devant les autres ?
– Patrick : Oui, ça fait partie du processus même si je n’impose rien. Chacun reste libre de jouer ou pas.
– Sophie : Est-ce qu’il faut beaucoup de séances ? Est-ce que certaines personnes arrêtent en cours de route ?
– Patrick : Cela peut arriver. Un travail thérapeutique n’est pas anodin, on aborde des choses importantes qui peuvent être difficiles. C’est comme une thérapie en ville : certains clients viennent pour 2, 3 séances puis arrêtent. En sept sessions, on ne résout pas tous les problèmes. Une thérapie est un travail de fond qui demande du temps. Ce que je propose est de montrer et d’expérimenter un processus, de donner des outils pour pouvoir jouer sans stress, être à l’aise sur scène, et donner le meilleur de soi.
– Sophie : Peut-on remplacer un traitement médical par cette thérapie ?
– Patrick : Non, aucune thérapie n’est un substitut à un traitement médical, par contre les deux peuvent se compléter.
– Sophie : Tu n’as jamais voulu collaborer avec un hôpital psychiatrique pour proposer tes types de soins en complément ?
– Patrick : C’est une bonne idée mais pour des troubles légers uniquement. Le travail psychothérapeutique, Gestalt ou non, demande une certaine conscience de soi et de son environnement.
– Sophie : Quelle différence fais-tu entre un cours de piano classique, où les profs sont déjà un peu sensibles à la posture corporelle et aux émotions de leurs élèves, et cette approche de Gestalt-Piano ?
– Patrick : Il est très important d’observer un élève dans sa globalité. Dans sa posture corporelle, dans sa posture musicale, dans son intention musicale… En ce qui me concerne, la Gestalt a transformé mon rapport au piano et à l’enseignement. Avant, j’étais dans la transmission classique : un élève arrive, joue quelque chose et on lui dit ce qu’il doit corriger. On parle plus des fautes, rarement de ce qui est bien. Maintenant, outre valoriser ce qui est bien, je porte attention à l’expérience émotionnelle de l’élève. Les aspects purement techniques deviennent secondaires, car lorsque l’on travaille sur la psyché, le reste suit naturellement.
– Sophie : Es-tu soumis au secret professionnel ? Es-tu remboursé par la mutuelle ?
– Patrick : Oui, nous sommes soumis au secret professionnel. Tout ce qui est dit dans le cabinet reste dans le cabinet et est strictement confidentiel. La confidentialité fait partie du cadre de la déontologie de tout thérapeute. Elle s’applique aussi aux membres d’un groupe de thérapie. Quant au remboursement, certaines mutuelles remboursent quelques séances par an, mais ce n’est pas couvert par la Sécurité sociale en France.
– Sophie : Et où peut-on travailler avec toi ?
– Patrick : J’ai quitté Paris il y a quelques années pour m’installer en Charente, près de Cognac, dans une grande maison où je peux organiser des séminaires. Je compte ouvrir prochainement un deuxième espace à Paris.
Le cadre invisible
Le cadre invisible
Un écrin de sécurité
dans la relation thérapeutique
Journal
2015
L’exercice de question-réponse auquel je me soumets s’inspire de l’article de Sophie Braun (2015), Chacun cherche son cadre : Le cadre et le désir de l’analyste, publié dans les Cahiers jungiens de psychanalyse. Je la remercie d’ailleurs pour cet article remarquable, qui m’a permis de revisiter les questions habituelles sur le cadre thérapeutique et de me prêter au jeu d’y répondre.
1 · Comment le cadre analytique contribue-t-il à contenir et sécuriser le patient durant le processus thérapeutique ?
S.D. : Le cadre a une importance primordiale ; il instaure un espace sécurisant qui appuie ma posture professionnelle. Il structure mon écoute et m’aide à prendre soin d’autrui. Assurer ponctualité et organisation rigoureuse des séances me permet d’incarner un soutien fiable pour mes patients. C’est pourquoi tout manquement aux règles établies, que ce soit des retards ou des paiements manquants, sont des aspects qu’il convient d’explorer ensemble [1].
2 · En quoi le fait de ne pas résoudre les problèmes à la place des patients contribue-t-il à renforcer leur autonomie et leur confiance en eux ?
S.D. : Ne pas résoudre les problèmes à la place des patients leur permet de bâtir une vraie confiance en eux. La métaphore du vélo est parlante : ce n’est pas en gardant les petites roues ou en pédalant pour l’enfant qu’on l’aide, mais en le laissant risquer la chute et en le relevant avec bienveillance. En renforçant son autonomie, il devient capable de rouler seul. J’accompagne avec douceur et bienveillance celui qui prend des risques, apprend de ses erreurs, et avance avec plus de confiance.
3 · Comment la gestion des projections et l’acceptation de la vulnérabilité du thérapeute influencent-elles la dynamique thérapeutique ?
S.D. : C’est souvent enrichissant de demander aux patients comment ils perçoivent nos réactions et, quand c’est possible, d’explorer les émotions qu’ils ont ressenties. Même avec une bonne connaissance de soi, les projections restent inévitables, mais il est possible de les assouplir et de les mobiliser pour éviter qu’elles ne se figent. En reconnaissant leur impact et en acceptant notre vulnérabilité, nous pouvons incarner un thérapeute à taille humaine, capable de transcender son ego. L’asymétrie réside justement dans notre capacité à prendre suffisamment de recul sur nous-mêmes pour gérer ces projections avec souplesse.
4 · En quoi l’écoute individuelle doit-elle tenir compte des représentations collectives dans le cadre thérapeutique ?
S.D. : Chaque patient dépose ses préoccupations, mais il est frappant de constater que des thèmes récurrents émergent tout au long d’une journée thérapeutique, comme si l’inconscient collectif se manifestait autour d’un même signifiant ou mot-clé. Lorsqu’un patient travaille sur un plan personnel, il reste immergé dans une société marquée par des problématiques communes : le culte de l’image, la performance, ou encore les défis écologiques. Il est souvent apaisant pour un patient de savoir que ses préoccupations sont partagées par d’autres, non pour banaliser ses sentiments, mais pour lui permettre de dissoudre ce mur invisible qui l’isole des autres.
5 · Sylvia Amati-Sas dit : « Alors que pendant des années, la lecture freudienne s’est limitée de préférence à intrapsychique, aujourd’hui la recherche de formes conceptuelles dynamiques permettant de conjuguer l’intrapsychique, l’intersubjectif et le social devient une nécessité incontournable ».
S.D. : J’aime beaucoup cette phrase, car elle montre l’importance de ne pas seulement explorer le passé, mais aussi de se concentrer sur le présent, qui inclut le social et les représentations collectives. Ce que le patient apporte en séance reflète sa situation actuelle dans le monde, influencée par le contexte social et les dynamiques qui façonnent son expérience. À cet égard, les conférences en ethnopsychiatrie que j’ai organisées avec Veronika Janicki m’ont beaucoup aidé à considérer cette approche, notamment grâce aux travaux de Tobie Nathan, qui m’ont permis de mieux comprendre les liens entre l’individu, sa culture et son environnement social.
6 · Pourquoi est-il important pour un thérapeute d’assumer ses propres valeurs et représentations dans la relation thérapeutique ?
S.D. : Il est important pour le thérapeute d’assumer ses valeurs tout en restant flexible, car cela permet au patient de faire un pas de côté par rapport à ses émotions. Par exemple, lorsqu’un patient se sent observé dans la rue, le fait que je reconnaisse ne pas connaître cet état l’aide à prendre du recul. Mon rôle est d’ajuster ma vision du monde à celle du patient, tout en restant conscient de mes propres repères, et d’intégrer certaines émotions quand cela sert la réflexion thérapeutique.
7 · La créativité a-t-elle sa place dans la méthode thérapeutique de l’analyste ?
S.D. : Ma créativité s’exprime dans les méthodes que j’adopte : utiliser le piano pour dire ce qui ne peut se dire avec les mots, travailler avec des cartes symboliques, ou explorer des métaphores inspirées de la nature. Par exemple, une patiente ayant du mal à poser ses limites a pu s’appuyer sur la métaphore de la rose et de l’épine. Cela lui a permis de défendre son espace sacré (la rose) tout en exprimant ses limites de façon plus acceptable, en sortant une épine pour égratigner, sans blesser violemment.
8 · Comment la “fiction qui soigne” décrite par James Hillman s’applique-t-elle en thérapie ?
S.D. : La “fiction qui soigne” de Hillman est le déploiement d’une métaphore. En mobilisant la créativité du patient, on peut traiter différemment la souffrance, tant dans le corps que dans l’espace psychique. Cela permet au patient de mieux comprendre la nature de sa blessure et de reconnaître ce qui “saigne” en lui lorsqu’il se sent heurté par l’autre, l’aidant ainsi à prendre soin de cette partie de lui-même.
9 · Comment un thérapeute peut-il accompagner un patient sans interférer avec son processus intérieur ?
S.D. : La clé est d’accompagner le patient sans chercher à le “sauver” ou à imposer son propre rythme, afin de respecter le cheminement intérieur du patient. Une analysante m’a un jour dit, lors d’une promenade en forêt, que le fait de revenir sur les mêmes sujets, mais chaque fois d’une manière différente lui convenait parfaitement, car cela respectait son propre rythme. Cette remarque m’a confirmé l’importance de suivre le rythme du patient, qui peut être différent de celui du thérapeute, et d’accepter cela avec sérénité.
10 · Les analystes jungiens parlent d’une co-construction alchimique consciente et inconsciente…
S.D. : Oui, et sans appartenir à une école fixe, je le répète souvent : le temps inconscient est un temps lent, ce qui signifie que les messages transmis en thérapie peuvent prendre du temps à être pleinement compris. Il y a souvent un décalage entre les conseils pratiques que le patient peut demander et les assertions plus poétiques ou métaphoriques qui émergent en séance. Ces derniers peuvent ne devenir clairs que des mois, voire des années plus tard. Je dis souvent à la fin d’une séance : “Vous avez reçu tous les messages pour aujourd’hui”, même si le patient a l’impression qu’il manque quelque chose. Cela signifie que ce qui a été dit fera peut-être écho plus tard, lorsque le patient sera prêt à y revenir.
[1] Braun, S. (2015). Chacun cherche son cadre : Le cadre et le désir de l’analyste. Cahiers jungiens de psychanalyse, 142, 135-149. https://doi.org/10.3917/cjung.142.0135
Du Conservatoire à la thérapie
Du Conservatoire
À la thérapie
l'art et l'âme en écho
Journal
Octobre 2023
Née en 1988, Sophie Del Duca est une musicienne, psychologue et pédagogue belge. Après avoir étudié le piano au Conservatoire Royal de Bruxelles, elle s’est formée au management d’artistes et à la psychologue clinique, ce qui l’a amené à s’interroger sur les processus psychiques qui sont à l’œuvre dans la création. Elle partage aujourd’hui son temps entre la thérapie, le piano et l’enseignement.
Dans une conversation avec Leila Radoni, journaliste et productrice dans le secteur de la musique, elle revisite les choix qui ont marqué son parcours.
Tu as opté pour des orientations successives qui semblent fort éloignées mais sont pourtant complémentaires. Avais-tu déjà en tête l’idée d’un fil rouge entre tes différentes formations ?
S.D. : Non, les choses se sont dessinées progressivement… déjà en ayant eu la surprise d’être admise au Conservatoire. C’était une expérience merveilleuse : s’immerger dans ses murs, s’ouvrir à la communauté musicale, être là où ça vibre fort en soi. J’ai gardé des liens indéfectibles, des souvenirs très joyeux, mais je sentais que j’irais explorer d’autres champs.
D’autres champs, comme le management d’artistes d’abord ? Qu’est-ce qui t’a amené à l’étudier ?
S.D. : Mes propres nœuds. La brutalité que je ressentais à devoir répondre à des exigences économiques alors que je voulais juste être pleinement immergée dans un processus musical et créatif. S’ouvrir à une vocation artistique implique des vides et des pleins : ces moments où tu es inspirée, en mesure de rassembler de l’énergie, et ces moments plus lents, de maturation des idées. Cela ne colle pas toujours avec l’urgence de la rentabilité !
Oui, et face à ces vides, il y a parfois une souffrance indicible…
S.D. : Exactement. Parce que cela touche l’engagement, qui est une notion qu’on peut décliner sur le plan musical et thérapeutique. C’est en s’engageant à remplir ces vides, par et pour nous-mêmes, que nous sommes le plus disposés à être au monde. Il a fallu quelques années de pratique spirituelle pour que j’intègre l’idée et que je parvienne à l’appliquer…
D’où ton idée de travailler en parallèle l’engagement pianistique et thérapeutique ?
S.D. : Je n’ai pas fait le lien immédiatement, il a d’abord fallu que je me forme à la psychopathologie avec l’intention de mieux cerner la réalité psychique des musiciens, puis à d’autres réalités cliniques. À ce stade, je pensais ne faire usage que de la parole, je n’étais pas encore ouverte à des médiations qui allaient mobiliser l’ensemble de la personne, le rapport au corps, à la nature, à la musique, etc.
Quelle a été ta porte d’entrée dans le champ de la psychologie et où te situes-tu aujourd’hui ?
S.D. : C’est en feuilletant, adolescente, le Complexe du Homard de Françoise Dolto que j’ai décidé d’être analyste. Ça s’annonçait déjà très complexe ! (rires) Au fond, cela a toujours été ma première vocation : la psychanalyse, dans son rapport à l’inconscient, à l’écriture, au langage. On peut dire que je suis passée de Freud à Lacan… à Winnicott et Melanie Klein. Par après, dans le cadre de ma thèse sur les violences conjugales, je me suis ouverte à d’autres approches en thérapie familiale. La pratique du yoga a aussi été une révélation. On apprend à donner ce qui est juste, à s’ouvrir au silence, à travailler la qualité de présence.
Quels ont été les leviers qui t’ont amené à développer la PianoTherapy ?
S.D. : Après avoir eu l’occasion d’enseigner le piano et avoir fait des rencontres fortes, j’ai compris à quel point l’instrument pouvait soutenir le psychisme, au sens où il engage le corps, apaise l’esprit et agit comme un exutoire créatif. Je me suis sentie prête pour ancrer le projet dans la matière et allier mes deux passions.
Maria João Pires a dit : « Au piano, il faut d’abord aider l’élève à être dans son corps, sans prétention d’aucune sorte, simplement être ». Qu’en penses-tu ?
S.D. : Cela résume ma méthodologie. Ici, je vais aider le patient à travailler l’authenticité de ses émotions, par l’écoute clinique d’abord, mais aussi et surtout, par une mise en mouvement autour du piano, qui va révéler ses tensions corporelles, son rapport à la respiration, lesquels vont apporter des informations précieuses sur ses facilités, ses blocages et ses peurs. À partir de là, on peut l’aider à être, puis éventuellement à se dépasser.
La Walk & Talk, une approche différente · 2
La Walk & Talk,
Une approche différente
Rencontre avec Pauline Martin (Part. 2)
Journal
Octobre 2023
J’ai eu le plaisir de discuter de ma pratique de la Walk&Talk avec Pauline Martin, dans le cadre de son étude exploratoire intitulée « Qu’est-ce qui motive les thérapeutes à choisir et pratiquer la Walking Therapy ? », réalisée à la Faculté de psychologie de l’Université catholique de Louvain.
— Lire le début de l’entretien (Part 1)
Pauline : Pour quels types de patients recommandez-vous la Walk&Talk ?
S.D. L’ajustement au cas par cas est fondamental : pour une personne souffrant d’obésité, coupler la parole à une activité physique peut être efficace ; en revanche, pour une patiente anorexique qui marche déjà quatre heures par jour, cela ne conviendrait pas. Cela soulève la question des mouvements internes…
Pauline : Des mouvements internes ?
S.D. : C’est-à-dire qu’une personne en souffrance a tendance à cristalliser un symptôme et à suspendre le temps par la rumination. Introduire l’idée de marcher, d’insuffler du mouvement, c’est apporter une forme de changement. Cela permet d’activer un processus de transformation…
Pauline : Oui… Vous parliez notamment de la capacité à contempler en début d’entretien…
S.D. : Certains patients, malgré la beauté environnante, ne cessent de fixer leurs pieds pendant la séance. Parfois, je les interpelle : « Regardez, un petit écureuil », et l’espace d’un instant, mon intervention les sort de leur monologue intérieur et les invite à contempler ce qui les entoure. Ils renouent alors avec la gratitude, plutôt que le manque. Je les rassure en leur disant qu’ils sont en sécurité dans cet espace magnifique.
Pauline : Vous montrez le positif… Est-ce qu’il y a pour vous des aspects différents au niveau du cadre entre la Walking Therapy et une thérapie classique en cabinet ?
S.D. : Les deux principaux avantages sont la possibilité d’échapper au regard du thérapeute et de réintroduire du mouvement. En thérapie, nous restons confinés dans le champ des discours, des mots signifiants, donc dans des mouvements intellectuels. Durant la Walk&Talk, nous nous décentrons physiquement du problème, ce qui réinscrit le corps dans l’espace thérapeutique.
Pauline : Il y a cette recherche, comme vous l’évoquiez tout à l’heure, de ramener le patient dans le corps. C’est ce que le cadre de la Walk&Talk permet…
S.D. : Oui. Amener le patient à contempler la beauté, à ralentir… Actuellement, je travaille avec des profils très rapides, submergés par des charges de travail importantes. Les inviter à pratiquer du slow piano ou des promenades thérapeutiques les aide à se détacher de l’ultra-compétition et de l’hyper- vigilance. Ils peuvent expérimenter un nouveau rapport au temps.
Pauline : Au niveau de vos attitudes thérapeutiques, est-ce que vous observez des différences entre les deux pratiques ?
S.D. : Déjà, c’est assez amusant d’observer leurs manières de marcher : certains se collent à moi, d’autres se pressent contre un bord du chemin, et d’autres encore sursautent si l’on croise un animal ou un passant, ce qui influence ma réponse thérapeutique. J’ai l’impression d’être davantage musicienne dans la forêt : la promenade engage mon corps, mon ouïe, et parfois le toucher, s’il faut éviter un danger en pressant le bras d’un patient.
Pauline : Il y a toute une réflexion autour des lieux dans lesquels vous amenez vos patients ?
Oui, effectivement, les petits parcs sinueux avec des montées et descentes peuvent être angoissants pour les patients. Un jour, une patiente s’est sentie oppressée au parc Tenbosch et a demandé à s’asseoir. Les forêts, avec leurs chemins droits et vastes, sont souvent plus apaisantes, contrairement aux parcs qui présentent trop de barrages visuels. Les environnements urbains bruyants et chaotiques ne sont pas très propices à la détente non plus.
Pauline : Est-ce que vous voyez des contre-indications à la pratique ?
S.D. : Oui, je préfère éviter les marches en forêt en fin d’après-midi et soirée pour des raisons de sécurité. Par ailleurs, la pratique est réservée aux patients stabilisés. Si un patient arrive anxieux, il vaut mieux minimiser les risques en l’apaisant au préalable par des exercices de respiration à l’intérieur et vérifier s’il est apte à participer à l’exercice.
Pauline : Selon vous, est-ce qu’il y a une école thérapeutique plus adéquate avec la Walking Therapy ?
S.D. : Je fais appel à plusieurs approches : la psychanalyse pour l’écoute des rêves et de l’inconscient, ainsi que des métaphores systémiques pour aborder le transgénérationnel en lien avec l’écosystème. Par exemple, une patiente en deuil a trouvé une fleur en forêt pour honorer sa grand-mère disparue. Elle a créé un petit autel symbolique pour marquer sa mémoire, utilisant la forêt comme espace de rituel personnel.
Pauline : Quel impact la Walking Therapy a-t-elle eu sur votre pratique ?
S.D. : Je ne peux plus m’en passer et j’ai vraiment envie d’en faire plus. J’apprécie beaucoup l’alternance des différents types de thérapie ; les approches holistiques offrent des possibilités fantastiques.
Pauline : Vous avez besoin de diversité…
S.D. : Oui, parce que cela donne de meilleurs résultats. Bon, on ne va pas diversifier dans tout et n’importe quoi, et proposer de la « barbecue therapy » (rires), mais si l’intégration de la nature permet de mettre en mouvement un problème spécifique, pourquoi pas !
Pauline : Nous arrivons à la fin de l’entretien. Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez ajouter ?
S.D. : Non, je crois que nous avons abordé l’essentiel.
Pauline : Merci alors !
S.D. : Merci à vous !
Martin, Pauline. Qu’est-ce qui motive les thérapeutes à choisir et pratiquer la Walking Therapy ? Étude exploratoire. Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation, Université catholique de Louvain, 2024. Prom. : Brevers, Damien ; de Condé, Hubert
La Walk & Talk, une approche différente · 1
La Walk & Talk,
Une approche différente
Rencontre avec Pauline Martin (Part. 1)
Journal
Octobre 2023
J’ai eu le plaisir de discuter de ma pratique de la Walk&Talk avec Pauline Martin, dans le cadre de son étude exploratoire intitulée « Qu’est-ce qui motive les thérapeutes à choisir et pratiquer la Walking Therapy ? », réalisée à la Faculté de psychologie de l’Université catholique de Louvain.
Pauline : Pouvez-vous m’expliquer le rapport que vous aviez avec la marche avant de commencer la Walking Therapy ?
S.D. : Durant une longue période, mon rapport à la marche était presque utilitaire et orienté par mes objectifs professionnels. J’ai eu une révélation lors d’un séjour en Suisse, face à l’étendue du lac. Après une période d’activité frénétique, j’ai ressenti le besoin d’explorer un espace de passivité pour harmoniser mes polarités. Il devenait nécessaire d’être plus contemplative, d’accepter de me poser et de me reposer. Ce voyage en Suisse a marqué une césure décisive. J’ai déménagé près d’une forêt, et chaque jour, j’ai le plaisir d’observer deux magnifiques écureuils, qui enchantent également mes patients.
Pauline : J’entends donc un appel à se reconnecter à la nature…
S.D. : Absolument, comme un besoin de redescendre dans mon corps après une période marquée par les activités intellectuelles. Par ailleurs, je me suis aperçu que la forêt m’était assez étrangère… Il y a un manque criant dans notre parcours scolaire, où les éléments de la nature sont rarement abordés.
Pauline : Pouvez-vous m’expliquer comment vous avez découvert la Walking Therapy ?
S.D. : J’ai d’abord été sensibilisée à la Walking Therapy par une publicité sur une formation. Ensuite, par la lecture d’un article de Bernard Ollivier[1], qui emmenait des jeunes, marqués par des vécus assez lourds, marcher pendant trois mois à raison de 25 kilomètres par jour. Les effets de la pratique étaient spectaculaires et durables. En retrouvant leur chemin, ces jeunes redonnaient du sens, une direction et une orientation à leur existence : une idée qui me plaisait beaucoup.
Pauline : Et qu’est-ce qui vous a amené à intégrer la Walking Therapy à votre pratique ?
S.D. : Avant tout, c’était le besoin de dynamiser ma pratique et d’allier mon bien-être personnel à celui de mes patients, en créant un cadre souple où l’exercice thérapeutique peut se dérouler aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur. Cela m’a permis d’explorer ma créativité à travers de nouvelles métaphores et d’incorporer une dimension plus spirituelle. La nature est un miroir extraordinaire…
Pauline : Est-ce que vous vous souvenez de comment vous vous sentiez la première fois où vous l’avez intégrée ?
S.D. : Oui, je me rappelle qu’une de mes patientes, qui venait de rompre après une longue relation, avait choisi un créneau très tôt le matin, vers 7h30, avant d’aller travailler. C’était en plein hiver, le lac était gelé, et nous étions presque seules dans une atmosphère de calme absolu. Ce cadre apaisant lui a offert un véritable soulagement. J’ai pensé qu’il n’était pas nécessaire d’attendre le soleil pour marcher avec eux…
Pauline : Une première expérience positive…
S.D. : Oui… Une autre fois, j’ai rencontré une patiente très timide, enveloppée dans sa cagoule et son anorak, laissant à peine apparaître ses yeux. En descendant de l’immeuble, je lui ai dit : « venez, on va marcher ». Elle ne m’a pas regardée une seule fois. Nos interactions se sont limitées à nos voix. En nous disant au revoir, nous avons simplement échangé un signe de la main. Je l’ai accompagnée d’une manière presque éthérée, comme une présence discrète qui marchait silencieusement à ses côtés.
Pauline : Vous l’avez intégré intuitivement avec certains patients, car c’était d’une certaine façon plus juste de les accompagner ainsi. Si vous deviez choisir un événement significatif qui vous a amené à proposer la Walking Therapy, lequel serait-il ?
S.D. : Un moment décisif a été la prise de conscience que lorsque le thérapeute prend soin de lui-même, il a quelque chose de précieux à offrir. L’attention que je porte à mes propres besoins est essentielle. Si mon métier devient une contrainte, ma présence en pâtit. En pratiquant d’une manière qui me semble juste, je peux offrir quelque chose de plus authentique.
Pauline : C’est-à-dire ?
S.D. : Lorsque le patient voit que le thérapeute prend du plaisir à une activité, cela peut le surprendre. Il pourrait se demander : « Je ne paie pas ce professionnel pour qu’il prenne du plaisir. Son engagement sera-t-il aussi sérieux à l’extérieur qu’en cabinet ? » Pourtant, je maintiens une écoute active pendant 45 minutes, en mobilisant ma créativité. Je prends souvent des notes vocales que je consigne ensuite dans le dossier pour assurer un suivi.
Pauline : Oui, il pourrait se demander : est-ce qu’il travaille ou est-ce qu’on va simplement papoter ?
S.D. : Exactement. Ce n’est pas une simple discussion informelle. Le cadre reste intact, dans le respect du temps et du vouvoiement. Ce cadre se déplace dans un espace naturel, où la nature sert de support, et bien au-delà…
[1] Bernard Ollivier, « Expérience de marche thérapeutique pour adolescents en grande difficulté », C@hiers du CRHiDI. Histoire, droit, institutions, société [En ligne], Vol. 32 - 2009, 285-288 URL : https://popups.uliege.be/1370-2262/index.php?id=829.