La PianoTherapy selon Sophie Del Duca
La PianoTherapy
selon Sophie Del Duca
Un voyage émotionnel
autour du son
Journal
2024
Vous êtes nombreux à me poser des questions sur la PianoTherapy : son fonctionnement, ses effets sur le psychisme, et même les preuves scientifiques de son efficacité. Afin d’y répondre, j’ai décidé d’éclaircir trois points essentiels qui, je l’espère, rendront cette approche thérapeutique plus facile à comprendre.
1. Comment se déroule une séance de PianoTherapy ?
La PianoTherapy est avant tout un processus personnalisé : chaque séance se construit en fonction de ce que le patient apporte, et chaque moment est influencé par sa manière de réagir aux propositions que je lui fais. Examinons trois exemples cliniques…
a) Réparer le lien et exprimer ses émotions : le piano pour apaiser la colère refoulée
J’ai accompagné un couple traversant une période difficile. La patiente, submergée par le stress et l’épuisement, ressentait une colère intense chaque fois que son bébé pleurait, ce qui révélait des aspects de son histoire personnelle jamais exprimés. Lors de nos séances, elle a partagé sa passion pour l’improvisation au piano. En effet, lorsqu’elle improvisait avec des modes pentatoniques orientaux, cela lui apportait un profond apaisement, comme un retour à sa maison intérieure. Son compagnon, quant à lui, trouvait une forme d’expression personnelle dans le chant.
En intégrant la musique dans leur relation – elle au piano, lui au chant –, ils ont pu se retrouver autour d’un morceau chargé de leur histoire d’amour. Ce moment partagé a apaisé leur enfant tout en leur permettant de libérer des émotions enfouies, de mieux se comprendre et de renforcer leurs liens de manière plus authentique.
b) Rompre avec la répétition : la musique comme voie de sublimation de la dépendance
Un autre patient, ancien pianiste, est venu pour travailler sur une dépendance et des blocages relationnels. Son addiction s’enracinait dans une quête de satisfaction immédiate. Pour progresser, il devait apprendre à différer ces envies et à apprécier la satisfaction dans un cheminement plus lent.
Réintroduire le piano dans sa vie a créé un espace où il pouvait renouer non seulement avec le plaisir du mouvement musical, mais aussi avec un mouvement affectif plus apaisant. Aujourd’hui, il joue à nouveau régulièrement, ce qui l’aide à maintenir un équilibre émotionnel.
c) Accueillir le ralentissement : le piano comme ancrage sensoriel face aux tensions psychosomatiques
La troisième patiente souffrait de douleurs articulaires chroniques liées à des tensions psychosomatiques. Aucun traitement n’ayant réussi à la soulager pleinement, nous avons pris un autre chemin, celui du ralentissement, en nous tournant vers des morceaux lents, teintés de mélancolie. En jouant très lentement, elle a pu relâcher ses tensions et apaiser une anxiété latente. Le piano est devenu pour elle un ancrage sensoriel, une connexion intime avec elle-même, loin des exigences de performance.
Note : Les noms et situations ont été modifiés pour garantir la confidentialité des patients.
2. Par quel mécanisme la PianoTherapy agit-elle sur le psychisme ?
En observant les exemples précédents, on peut dégager quelques perspectives :
a) L’intégration émotionnelle par la musique
La musique contourne les défenses psychiques, en atteignant des émotions souvent inaccessibles par la parole. Elle devient un moyen d’expression et un espace de réparation des blessures émotionnelles. Dans le premier exemple, chaque partenaire a pu exprimer sa vérité intérieure et renforcer le lien conjugal grâce à la musique.
b) La rupture des schémas répétitifs destructeurs
Dans le deuxième exemple, le piano agit comme un catalyseur de changement. En réintroduisant du mouvement et de la fluidité, la musique permet de transformer des schémas figés en une dynamique créative.
c) L’ancrage sensoriel et la reconnexion au corps
Enfin, dans le troisième exemple, le travail sur la lenteur du geste, la respiration et les sensations physiques a permis à la patiente de se reconnecter à son corps et à ses émotions. Cette attention aux sensations lui a permis d’établir un lien plus apaisé avec elle-même.
3. Quelles sont les preuves scientifiques de l’efficacité de la PianoTherapy ?
Pour répondre à cette question, il est utile de la diviser en trois parties complémentaires : les recherches en musicothérapie, les études spécifiques sur le piano, et les perspectives psychanalytiques sur de grands pianistes.
a) Les bienfaits de la musicothérapie dans la littérature scientifique
La musicothérapie est étudiée depuis des décennies et a prouvé ses effets sur la régulation émotionnelle, la réduction de l’anxiété et le traitement des troubles de l’humeur. Des figures majeures comme Benenzon, Alvin, et Wigram ont montré que la musique est un puissant vecteur de résilience psychologique.
b) Les études spécifiques sur la PianoTherapy
Michel Sogny, pianiste et pédagogue reconnu, a exploré comment le piano peut structurer le monde intérieur et exprimer des conflits inconscients. Il identifie huit points essentiels : la structuration de l’espace psychique, l’expression des conflits inconscients, le renforcement de la confiance en soi, l’ancrage sensoriel, la libération des tensions internes, la sublimation des pulsions, le développement de la concentration, et l’exploration du plaisir esthétique. Comme il aime le dire : « Du bout des doigts on peut palper sa propre sensibilité ».
De son côté, Katarzyna Walewska, dans son article Entre le divan et le piano, explore l’utilisation du piano en thérapie psychanalytique, notamment dans le travail avec les enfants, instaurant un dialogue non verbal qui facilite l’expression d’émotions refoulées et permet la résolution de conflits internes.
Enfin, d’autres études récentes, comme celle intitulée Classical Music Styles and Piano Therapy for Patients with Depressive Disorders, montrent que la pratique du piano, associée à des morceaux de musique classique, aide à atténuer les symptômes dépressifs, en favorisant la libération émotionnelle et la réconciliation intérieure.
c) Les perspectives psychanalytiques sur des musiciens célèbres
Les psychanalystes se sont eux aussi penchés sur le parcours des grands pianistes. Ainsi, les travaux de Vincent Estellon et Brigitte Lalvée sur Glenn Gould montrent comment le piano lui servait de refuge pour structurer son monde intérieur et gérer ses angoisses profondes, devenant un miroir de ses conflits inconscients. Je pense aussi aux écrits de Stéphane Barsacq, qui examinent l’expérience pianistique et spirituelle d’Hélène Grimaud, pour qui le piano représente un vecteur de transcendance et d’expression émotionnelle intense…
En somme, la PianoTherapy, soutenue par ces recherches, ouvre la voie à une approche thérapeutique novatrice, où peuvent se rencontrer le corps, la parole et l’inconscient.
Bibliographie
- Barsacq, S., & Grimaud, H. (2023). Renaître. Albin Michel. https://www.albin-michel.fr/renaitre-9782226452580
- Du, L. (2021). Classical Music Styles and Piano Therapy for Patients with Depressive Disorders. Revista Música Hodie, 21. https://doi.org/10.5216/mh.v21.66519
- Estellon, V. (2010). Glenn Gould, magicien et médecin hypocondriaque du corps-piano: Topique, n° 109(4), 223‑243. https://doi.org/10.3917/top.109.0223
- Friédérich, S. (2014). L’art et la méthode, Quelle a été l’évolution de la Fondation SOS Talents ? Classica Supplément in L’Express.
- Kalandarishvili, M. (2018, avril 3). Innovative Approaches to Musical Education. Forbes Georgia. http://sos-talents.ch/new/wp-content/uploads/2024/03/forbes-article.pdf
- Lalvée, B. (2011). Le pianiste et son désir : Du désir de la mère à l’interprétation comme désir, la construction Glenn Gould: Figures de la psychanalyse, n° 22(2), 91‑112. https://doi.org/10.3917/fp.022.0091
- Walewska, K. (2012). Entre le divan et le piano, un « psychodrame analytique »: Revue française de psychanalyse, Vol. 76(2), 545‑554. https://doi.org/10.3917/rfp.762.0545
Le cadre invisible
Le cadre invisible
Un écrin de sécurité
dans la relation thérapeutique
Journal
2015
L’exercice de question-réponse auquel je me soumets s’inspire de l’article de Sophie Braun (2015), Chacun cherche son cadre : Le cadre et le désir de l’analyste, publié dans les Cahiers jungiens de psychanalyse. Je la remercie d’ailleurs pour cet article remarquable, qui m’a permis de revisiter les questions habituelles sur le cadre thérapeutique et de me prêter au jeu d’y répondre.
1 · Comment le cadre analytique contribue-t-il à contenir et sécuriser le patient durant le processus thérapeutique ?
S.D. : Le cadre a une importance primordiale ; il instaure un espace sécurisant qui appuie ma posture professionnelle. Il structure mon écoute et m’aide à prendre soin d’autrui. Assurer ponctualité et organisation rigoureuse des séances me permet d’incarner un soutien fiable pour mes patients. C’est pourquoi tout manquement aux règles établies, que ce soit des retards ou des paiements manquants, sont des aspects qu’il convient d’explorer ensemble [1].
2 · En quoi le fait de ne pas résoudre les problèmes à la place des patients contribue-t-il à renforcer leur autonomie et leur confiance en eux ?
S.D. : Ne pas résoudre les problèmes à la place des patients leur permet de bâtir une vraie confiance en eux. La métaphore du vélo est parlante : ce n’est pas en gardant les petites roues ou en pédalant pour l’enfant qu’on l’aide, mais en le laissant risquer la chute et en le relevant avec bienveillance. En renforçant son autonomie, il devient capable de rouler seul. J’accompagne avec douceur et bienveillance celui qui prend des risques, apprend de ses erreurs, et avance avec plus de confiance.
3 · Comment la gestion des projections et l’acceptation de la vulnérabilité du thérapeute influencent-elles la dynamique thérapeutique ?
S.D. : C’est souvent enrichissant de demander aux patients comment ils perçoivent nos réactions et, quand c’est possible, d’explorer les émotions qu’ils ont ressenties. Même avec une bonne connaissance de soi, les projections restent inévitables, mais il est possible de les assouplir et de les mobiliser pour éviter qu’elles ne se figent. En reconnaissant leur impact et en acceptant notre vulnérabilité, nous pouvons incarner un thérapeute à taille humaine, capable de transcender son ego. L’asymétrie réside justement dans notre capacité à prendre suffisamment de recul sur nous-mêmes pour gérer ces projections avec souplesse.
4 · En quoi l’écoute individuelle doit-elle tenir compte des représentations collectives dans le cadre thérapeutique ?
S.D. : Chaque patient dépose ses préoccupations, mais il est frappant de constater que des thèmes récurrents émergent tout au long d’une journée thérapeutique, comme si l’inconscient collectif se manifestait autour d’un même signifiant ou mot-clé. Lorsqu’un patient travaille sur un plan personnel, il reste immergé dans une société marquée par des problématiques communes : le culte de l’image, la performance, ou encore les défis écologiques. Il est souvent apaisant pour un patient de savoir que ses préoccupations sont partagées par d’autres, non pour banaliser ses sentiments, mais pour lui permettre de dissoudre ce mur invisible qui l’isole des autres.
5 · Sylvia Amati-Sas dit : « Alors que pendant des années, la lecture freudienne s’est limitée de préférence à intrapsychique, aujourd’hui la recherche de formes conceptuelles dynamiques permettant de conjuguer l’intrapsychique, l’intersubjectif et le social devient une nécessité incontournable ».
S.D. : J’aime beaucoup cette phrase, car elle montre l’importance de ne pas seulement explorer le passé, mais aussi de se concentrer sur le présent, qui inclut le social et les représentations collectives. Ce que le patient apporte en séance reflète sa situation actuelle dans le monde, influencée par le contexte social et les dynamiques qui façonnent son expérience. À cet égard, les conférences en ethnopsychiatrie que j’ai organisées avec Veronika Janicki m’ont beaucoup aidé à considérer cette approche, notamment grâce aux travaux de Tobie Nathan, qui m’ont permis de mieux comprendre les liens entre l’individu, sa culture et son environnement social.
6 · Pourquoi est-il important pour un thérapeute d’assumer ses propres valeurs et représentations dans la relation thérapeutique ?
S.D. : Il est important pour le thérapeute d’assumer ses valeurs tout en restant flexible, car cela permet au patient de faire un pas de côté par rapport à ses émotions. Par exemple, lorsqu’un patient se sent observé dans la rue, le fait que je reconnaisse ne pas connaître cet état l’aide à prendre du recul. Mon rôle est d’ajuster ma vision du monde à celle du patient, tout en restant conscient de mes propres repères, et d’intégrer certaines émotions quand cela sert la réflexion thérapeutique.
7 · La créativité a-t-elle sa place dans la méthode thérapeutique de l’analyste ?
S.D. : Ma créativité s’exprime dans les méthodes que j’adopte : utiliser le piano pour dire ce qui ne peut se dire avec les mots, travailler avec des cartes symboliques, ou explorer des métaphores inspirées de la nature. Par exemple, une patiente ayant du mal à poser ses limites a pu s’appuyer sur la métaphore de la rose et de l’épine. Cela lui a permis de défendre son espace sacré (la rose) tout en exprimant ses limites de façon plus acceptable, en sortant une épine pour égratigner, sans blesser violemment.
8 · Comment la “fiction qui soigne” décrite par James Hillman s’applique-t-elle en thérapie ?
S.D. : La “fiction qui soigne” de Hillman est le déploiement d’une métaphore. En mobilisant la créativité du patient, on peut traiter différemment la souffrance, tant dans le corps que dans l’espace psychique. Cela permet au patient de mieux comprendre la nature de sa blessure et de reconnaître ce qui “saigne” en lui lorsqu’il se sent heurté par l’autre, l’aidant ainsi à prendre soin de cette partie de lui-même.
9 · Comment un thérapeute peut-il accompagner un patient sans interférer avec son processus intérieur ?
S.D. : La clé est d’accompagner le patient sans chercher à le “sauver” ou à imposer son propre rythme, afin de respecter le cheminement intérieur du patient. Une analysante m’a un jour dit, lors d’une promenade en forêt, que le fait de revenir sur les mêmes sujets, mais chaque fois d’une manière différente lui convenait parfaitement, car cela respectait son propre rythme. Cette remarque m’a confirmé l’importance de suivre le rythme du patient, qui peut être différent de celui du thérapeute, et d’accepter cela avec sérénité.
10 · Les analystes jungiens parlent d’une co-construction alchimique consciente et inconsciente…
S.D. : Oui, et sans appartenir à une école fixe, je le répète souvent : le temps inconscient est un temps lent, ce qui signifie que les messages transmis en thérapie peuvent prendre du temps à être pleinement compris. Il y a souvent un décalage entre les conseils pratiques que le patient peut demander et les assertions plus poétiques ou métaphoriques qui émergent en séance. Ces derniers peuvent ne devenir clairs que des mois, voire des années plus tard. Je dis souvent à la fin d’une séance : “Vous avez reçu tous les messages pour aujourd’hui”, même si le patient a l’impression qu’il manque quelque chose. Cela signifie que ce qui a été dit fera peut-être écho plus tard, lorsque le patient sera prêt à y revenir.
[1] Braun, S. (2015). Chacun cherche son cadre : Le cadre et le désir de l’analyste. Cahiers jungiens de psychanalyse, 142, 135-149. https://doi.org/10.3917/cjung.142.0135