Je vous présente Patrick Pascal, créateur du Gestalt-Piano, avec qui j’ai eu la chance de m’entretenir à la suite d’un heureux hasard sur Twitter. Comme moi, il combine sa passion pour la psychologie et le piano dans sa pratique thérapeutique. Sa démarche innovante résonne profondément avec ma propre approche de la PianoTherapy.
– Sophie : Je t’ai rencontré sur Twitter, c’était un véritable coup du destin. Je voulais commencer la PianoTherapy et tu avais commenté une citation de Cioran sur mon profil. Ça m’a paru complètement fou de lire sur ta page : Gestalt Piano. Très peu de gens pratiquent cela en Europe. Aux États-Unis, il y a une ou deux personnes, et une autre en Roumanie. Il y a beaucoup de musicothérapeutes, mais je ne sais pas si tu connais d’autres personnes qui font cela exclusivement autour du piano ?
– Patrick : Je ne connais pas de thérapeutes qui utilisent les outils de la Gestalt associés à une pratique instrumentale dont la finalité est de se sentir soi-même sur scène. J’en ai beaucoup parlé autour de moi, que ce soit dans mon école de psychologie, parmi mes collègues de piano ou tout simplement ma famille et mes amis et aucun ne connaissait une telle approche. C’est pourquoi je me suis intitulé “créateur du Gestalt-Piano”.
– Sophie : Est-ce que tu peux nous raconter ton parcours ? Qu’est-ce qui t’a amené à la musique ?
– Patrick : Je viens d’une famille d’artistes et de musiciens, tous amateurs sauf mon grand-père paternel qui était peintre. J’ai commencé le piano à l’âge de 4 ans, et des dons ayant été rapidement détectés, ma mère m’a inscrit au Conservatoire. À l’adolescence, des problèmes de trac sont apparus. Être sur scène et exposé au regard des autres me faisait perdre beaucoup de mes moyens. Encouragé par mes professeurs, je me suis accroché et j’ai continué mon parcours au conservatoire que j’ai terminé en remportant un prix d’excellence à l’unanimité du jury.
– Sophie : Comment la psychologie est-elle entrée dans ta vie ?
– Patrick : Adolescent, j’écoutais à la radio Françoise Dolto qui me touchait beaucoup. Je ne me suis décidé cependant à consulter un thérapeute que bien plus tard. Ensuite, j’ai rencontré un pianiste amateur qui était en formation de thérapeute à l’École Parisienne de Gestalt. J’ai donc découvert la Gestalt à cette occasion. J’ai trouvé un thérapeute à l’Institut de Formation Arnaud Sebal (IFAS) et je me suis aussi inscrit à leur formation pour devenir moi-même thérapeute. J’ai trouvé en l’IFAS une bienveillance et un non-jugement qu’il me fallait pour changer de manière significative.
– Sophie : Est-ce que ton idée de faire du Gestalt-Piano vient de là ?
– Patrick : L’idée, oui, mais le Gestalt-Piano n’a vraiment pu prendre forme que grâce à une formation complémentaire que l’IFAS proposait : le Gestalt-Théâtre. Il m’a permis d’expérimenter vraiment les outils de la Gestalt sur scène qui m’ont énormément aidé à gérer le stress et le regard du public. J’en profite pour remercier chaleureusement la formatrice de l’école et comédienne Catherine Cyler. J’ai réalisé alors qu’il y avait un potentiel similaire à exploiter avec le piano et la musique en général. Travaillant sur la confiance en soi et la gestion du stress, le Gestalt-Piano peut donc s’appliquer à tous les artistes : instrumentistes, danseurs, comédiens et toute personne qui veut ou doit se produire en public. Pour cela, j’utilise les outils de la Gestalt pour les aider à mieux se déployer sur scène.
– Sophie : Tu peux peut-être en expliquer un…
– Patrick : Un des outils, et qui pour moi est fondamental, est l’Ici et Maintenant. En apportant de la conscience, de la présence sur chaque note que l’on joue Ici et Maintenant (je précise que cela n’a rien à voir avec le contrôle), le jeu, la musicalité et la technique changent du tout au tout. Dans la Gestalt, les prises de conscience sont aussi corporelles, tout comme l’est notre mémoire. On apprend et retient mieux avec et par le corps. Cela m’amène à parler de la Technique Alexander que j’ai longtemps pratiqué et qui est une méthode posturale qui m’a également beaucoup aidé. La manière dont on utilise son corps a un impact sur tout notre jeu. La qualité du son, par exemple, vient de là.
– Sophie : En PianoTherapy, je propose souvent à mes patients de pratiquer le slow piano. Je leur demande de jouer à 40 au métronome, de ralentir au maximum le tempo. Ce processus apaise ceux qui se trouvent dans la compétition et la performance, souvent submergés par le stress. Au début, ils le perçoivent comme un exercice mathématique, puis cela les ramène progressivement à la musique et à la pleine conscience. En augmentant peu à peu le tempo, ils parviennent finalement à jouer avec plus de fluidité. Travailler avec un métronome très lent peut même plonger certains dans un état presque méditatif.
– Patrick : Liszt disait : “Je ne connais pas assez bien ce morceau pour le jouer lentement.” Cette phrase m’a longtemps intrigué quand j’étais jeune étudiant. Travailler lentement, prendre son temps est essentiel. Mais cela peut ne pas être suffisant pour jouer au tempo ensuite. La clef est comment on travaille : dans quelle disposition je suis, dans quelle intention, dans quelle émotion et comment je me sens dans mon corps en travaillant lentement. De plus, travailler et jouer lentement en pleine conscience et en étant bien dans son corps permet d’ancrer un texte très rapidement.
– Sophie : Qu’est-ce que la thérapie t’a apporté au niveau de ta pratique instrumentale ?
– Patrick : Cela m’a apporté beaucoup de fluidité, d’aisance et de liberté. Être serein avec le regard des autres m’a permis d’être moi-même au piano.
– Sophie : Peux-tu expliquer comment se déroulent tes séances ? Combien de temps durent-elles ? Faut-il une tenue particulière ?
– Patrick : Il n’y pas de tenue particulière, juste être à l’aise car nous faisons des méditations et parfois des exercices corporels. J’organise sept sessions de 3 à 4 heures selon le nombre d’inscrits, avec des exercices par groupes de trois.
– Sophie : Pourquoi des groupes de trois personnes ?
– Patrick : Il y a des exercices où deux personnes partagent sur un sujet et la troisième observe. Le poste d’observateur est très formateur. On apprend parfois plus dans l’observation que dans l’action.
– Sophie : Est-ce que les participants jouent devant les autres ?
– Patrick : Oui, ça fait partie du processus même si je n’impose rien. Chacun reste libre de jouer ou pas.
– Sophie : Est-ce qu’il faut beaucoup de séances ? Est-ce que certaines personnes arrêtent en cours de route ?
– Patrick : Cela peut arriver. Un travail thérapeutique n’est pas anodin, on aborde des choses importantes qui peuvent être difficiles. C’est comme une thérapie en ville : certains clients viennent pour 2, 3 séances puis arrêtent. En sept sessions, on ne résout pas tous les problèmes. Une thérapie est un travail de fond qui demande du temps. Ce que je propose est de montrer et d’expérimenter un processus, de donner des outils pour pouvoir jouer sans stress, être à l’aise sur scène, et donner le meilleur de soi.
– Sophie : Peut-on remplacer un traitement médical par cette thérapie ?
– Patrick : Non, aucune thérapie n’est un substitut à un traitement médical, par contre les deux peuvent se compléter.
– Sophie : Tu n’as jamais voulu collaborer avec un hôpital psychiatrique pour proposer tes types de soins en complément ?
– Patrick : C’est une bonne idée mais pour des troubles légers uniquement. Le travail psychothérapeutique, Gestalt ou non, demande une certaine conscience de soi et de son environnement.
– Sophie : Quelle différence fais-tu entre un cours de piano classique, où les profs sont déjà un peu sensibles à la posture corporelle et aux émotions de leurs élèves, et cette approche de Gestalt-Piano ?
– Patrick : Il est très important d’observer un élève dans sa globalité. Dans sa posture corporelle, dans sa posture musicale, dans son intention musicale… En ce qui me concerne, la Gestalt a transformé mon rapport au piano et à l’enseignement. Avant, j’étais dans la transmission classique : un élève arrive, joue quelque chose et on lui dit ce qu’il doit corriger. On parle plus des fautes, rarement de ce qui est bien. Maintenant, outre valoriser ce qui est bien, je porte attention à l’expérience émotionnelle de l’élève. Les aspects purement techniques deviennent secondaires, car lorsque l’on travaille sur la psyché, le reste suit naturellement.
– Sophie : Es-tu soumis au secret professionnel ? Es-tu remboursé par la mutuelle ?
– Patrick : Oui, nous sommes soumis au secret professionnel. Tout ce qui est dit dans le cabinet reste dans le cabinet et est strictement confidentiel. La confidentialité fait partie du cadre de la déontologie de tout thérapeute. Elle s’applique aussi aux membres d’un groupe de thérapie. Quant au remboursement, certaines mutuelles remboursent quelques séances par an, mais ce n’est pas couvert par la Sécurité sociale en France.
– Sophie : Et où peut-on travailler avec toi ?
– Patrick : J’ai quitté Paris il y a quelques années pour m’installer en Charente, près de Cognac, dans une grande maison où je peux organiser des séminaires. Je compte ouvrir prochainement un deuxième espace à Paris.