L’exercice de question-réponse auquel je me soumets s’inspire de l’article de Sophie Braun (2015), Chacun cherche son cadre : Le cadre et le désir de l’analyste, publié dans les Cahiers jungiens de psychanalyse. Je la remercie d’ailleurs pour cet article remarquable, qui m’a permis de revisiter les questions habituelles sur le cadre thérapeutique et de me prêter au jeu d’y répondre.
1 · Comment le cadre analytique contribue-t-il à contenir et sécuriser le patient durant le processus thérapeutique ?
S.D. : Le cadre a une importance primordiale ; il instaure un espace sécurisant qui appuie ma posture professionnelle. Il structure mon écoute et m’aide à prendre soin d’autrui. Assurer ponctualité et organisation rigoureuse des séances me permet d’incarner un soutien fiable pour mes patients. C’est pourquoi tout manquement aux règles établies, que ce soit des retards ou des paiements manquants, sont des aspects qu’il convient d’explorer ensemble [1].
2 · En quoi le fait de ne pas résoudre les problèmes à la place des patients contribue-t-il à renforcer leur autonomie et leur confiance en eux ?
S.D. : Ne pas résoudre les problèmes à la place des patients leur permet de bâtir une vraie confiance en eux. La métaphore du vélo est parlante : ce n’est pas en gardant les petites roues ou en pédalant pour l’enfant qu’on l’aide, mais en le laissant risquer la chute et en le relevant avec bienveillance. En renforçant son autonomie, il devient capable de rouler seul. J’accompagne avec douceur et bienveillance celui qui prend des risques, apprend de ses erreurs, et avance avec plus de confiance.
3 · Comment la gestion des projections et l’acceptation de la vulnérabilité du thérapeute influencent-elles la dynamique thérapeutique ?
S.D. : C’est souvent enrichissant de demander aux patients comment ils perçoivent nos réactions et, quand c’est possible, d’explorer les émotions qu’ils ont ressenties. Même avec une bonne connaissance de soi, les projections restent inévitables, mais il est possible de les assouplir et de les mobiliser pour éviter qu’elles ne se figent. En reconnaissant leur impact et en acceptant notre vulnérabilité, nous pouvons incarner un thérapeute à taille humaine, capable de transcender son ego. L’asymétrie réside justement dans notre capacité à prendre suffisamment de recul sur nous-mêmes pour gérer ces projections avec souplesse.
4 · En quoi l’écoute individuelle doit-elle tenir compte des représentations collectives dans le cadre thérapeutique ?
S.D. : Chaque patient dépose ses préoccupations, mais il est frappant de constater que des thèmes récurrents émergent tout au long d’une journée thérapeutique, comme si l’inconscient collectif se manifestait autour d’un même signifiant ou mot-clé. Lorsqu’un patient travaille sur un plan personnel, il reste immergé dans une société marquée par des problématiques communes : le culte de l’image, la performance, ou encore les défis écologiques. Il est souvent apaisant pour un patient de savoir que ses préoccupations sont partagées par d’autres, non pour banaliser ses sentiments, mais pour lui permettre de dissoudre ce mur invisible qui l’isole des autres.
5 · Sylvia Amati-Sas dit : « Alors que pendant des années, la lecture freudienne s’est limitée de préférence à intrapsychique, aujourd’hui la recherche de formes conceptuelles dynamiques permettant de conjuguer l’intrapsychique, l’intersubjectif et le social devient une nécessité incontournable ».
S.D. : J’aime beaucoup cette phrase, car elle montre l’importance de ne pas seulement explorer le passé, mais aussi de se concentrer sur le présent, qui inclut le social et les représentations collectives. Ce que le patient apporte en séance reflète sa situation actuelle dans le monde, influencée par le contexte social et les dynamiques qui façonnent son expérience. À cet égard, les conférences en ethnopsychiatrie que j’ai organisées avec Veronika Janicki m’ont beaucoup aidé à considérer cette approche, notamment grâce aux travaux de Tobie Nathan, qui m’ont permis de mieux comprendre les liens entre l’individu, sa culture et son environnement social.
6 · Pourquoi est-il important pour un thérapeute d’assumer ses propres valeurs et représentations dans la relation thérapeutique ?
S.D. : Il est important pour le thérapeute d’assumer ses valeurs tout en restant flexible, car cela permet au patient de faire un pas de côté par rapport à ses émotions. Par exemple, lorsqu’un patient se sent observé dans la rue, le fait que je reconnaisse ne pas connaître cet état l’aide à prendre du recul. Mon rôle est d’ajuster ma vision du monde à celle du patient, tout en restant conscient de mes propres repères, et d’intégrer certaines émotions quand cela sert la réflexion thérapeutique.
7 · La créativité a-t-elle sa place dans la méthode thérapeutique de l’analyste ?
S.D. : Ma créativité s’exprime dans les méthodes que j’adopte : utiliser le piano pour dire ce qui ne peut se dire avec les mots, travailler avec des cartes symboliques, ou explorer des métaphores inspirées de la nature. Par exemple, une patiente ayant du mal à poser ses limites a pu s’appuyer sur la métaphore de la rose et de l’épine. Cela lui a permis de défendre son espace sacré (la rose) tout en exprimant ses limites de façon plus acceptable, en sortant une épine pour égratigner, sans blesser violemment.
8 · Comment la “fiction qui soigne” décrite par James Hillman s’applique-t-elle en thérapie ?
S.D. : La “fiction qui soigne” de Hillman est le déploiement d’une métaphore. En mobilisant la créativité du patient, on peut traiter différemment la souffrance, tant dans le corps que dans l’espace psychique. Cela permet au patient de mieux comprendre la nature de sa blessure et de reconnaître ce qui “saigne” en lui lorsqu’il se sent heurté par l’autre, l’aidant ainsi à prendre soin de cette partie de lui-même.
9 · Comment un thérapeute peut-il accompagner un patient sans interférer avec son processus intérieur ?
S.D. : La clé est d’accompagner le patient sans chercher à le “sauver” ou à imposer son propre rythme, afin de respecter le cheminement intérieur du patient. Une analysante m’a un jour dit, lors d’une promenade en forêt, que le fait de revenir sur les mêmes sujets, mais chaque fois d’une manière différente lui convenait parfaitement, car cela respectait son propre rythme. Cette remarque m’a confirmé l’importance de suivre le rythme du patient, qui peut être différent de celui du thérapeute, et d’accepter cela avec sérénité.
10 · Les analystes jungiens parlent d’une co-construction alchimique consciente et inconsciente…
S.D. : Oui, et sans appartenir à une école fixe, je le répète souvent : le temps inconscient est un temps lent, ce qui signifie que les messages transmis en thérapie peuvent prendre du temps à être pleinement compris. Il y a souvent un décalage entre les conseils pratiques que le patient peut demander et les assertions plus poétiques ou métaphoriques qui émergent en séance. Ces derniers peuvent ne devenir clairs que des mois, voire des années plus tard. Je dis souvent à la fin d’une séance : “Vous avez reçu tous les messages pour aujourd’hui”, même si le patient a l’impression qu’il manque quelque chose. Cela signifie que ce qui a été dit fera peut-être écho plus tard, lorsque le patient sera prêt à y revenir.
[1] Braun, S. (2015). Chacun cherche son cadre : Le cadre et le désir de l’analyste. Cahiers jungiens de psychanalyse, 142, 135-149. https://doi.org/10.3917/cjung.142.0135