J’ai eu le plaisir de discuter de ma pratique de la Walk&Talk avec Pauline Martin, dans le cadre de son étude exploratoire intitulée « Qu’est-ce qui motive les thérapeutes à choisir et pratiquer la Walking Therapy ? », réalisée à la Faculté de psychologie de l’Université catholique de Louvain.
Pauline : Pouvez-vous m’expliquer le rapport que vous aviez avec la marche avant de commencer la Walking Therapy ?
S.D. : Durant une longue période, mon rapport à la marche était presque utilitaire et orienté par mes objectifs professionnels. J’ai eu une révélation lors d’un séjour en Suisse, face à l’étendue du lac. Après une période d’activité frénétique, j’ai ressenti le besoin d’explorer un espace de passivité pour harmoniser mes polarités. Il devenait nécessaire d’être plus contemplative, d’accepter de me poser et de me reposer. Ce voyage en Suisse a marqué une césure décisive. J’ai déménagé près d’une forêt, et chaque jour, j’ai le plaisir d’observer deux magnifiques écureuils, qui enchantent également mes patients.
Pauline : J’entends donc un appel à se reconnecter à la nature…
S.D. : Absolument, comme un besoin de redescendre dans mon corps après une période marquée par les activités intellectuelles. Par ailleurs, je me suis aperçu que la forêt m’était assez étrangère… Il y a un manque criant dans notre parcours scolaire, où les éléments de la nature sont rarement abordés.
Pauline : Pouvez-vous m’expliquer comment vous avez découvert la Walking Therapy ?
S.D. : J’ai d’abord été sensibilisée à la Walking Therapy par une publicité sur une formation. Ensuite, par la lecture d’un article de Bernard Ollivier[1], qui emmenait des jeunes, marqués par des vécus assez lourds, marcher pendant trois mois à raison de 25 kilomètres par jour. Les effets de la pratique étaient spectaculaires et durables. En retrouvant leur chemin, ces jeunes redonnaient du sens, une direction et une orientation à leur existence : une idée qui me plaisait beaucoup.
Pauline : Et qu’est-ce qui vous a amené à intégrer la Walking Therapy à votre pratique ?
S.D. : Avant tout, c’était le besoin de dynamiser ma pratique et d’allier mon bien-être personnel à celui de mes patients, en créant un cadre souple où l’exercice thérapeutique peut se dérouler aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur. Cela m’a permis d’explorer ma créativité à travers de nouvelles métaphores et d’incorporer une dimension plus spirituelle. La nature est un miroir extraordinaire…
Pauline : Est-ce que vous vous souvenez de comment vous vous sentiez la première fois où vous l’avez intégrée ?
S.D. : Oui, je me rappelle qu’une de mes patientes, qui venait de rompre après une longue relation, avait choisi un créneau très tôt le matin, vers 7h30, avant d’aller travailler. C’était en plein hiver, le lac était gelé, et nous étions presque seules dans une atmosphère de calme absolu. Ce cadre apaisant lui a offert un véritable soulagement. J’ai pensé qu’il n’était pas nécessaire d’attendre le soleil pour marcher avec eux…
Pauline : Une première expérience positive…
S.D. : Oui… Une autre fois, j’ai rencontré une patiente très timide, enveloppée dans sa cagoule et son anorak, laissant à peine apparaître ses yeux. En descendant de l’immeuble, je lui ai dit : « venez, on va marcher ». Elle ne m’a pas regardée une seule fois. Nos interactions se sont limitées à nos voix. En nous disant au revoir, nous avons simplement échangé un signe de la main. Je l’ai accompagnée d’une manière presque éthérée, comme une présence discrète qui marchait silencieusement à ses côtés.
Pauline : Vous l’avez intégré intuitivement avec certains patients, car c’était d’une certaine façon plus juste de les accompagner ainsi. Si vous deviez choisir un événement significatif qui vous a amené à proposer la Walking Therapy, lequel serait-il ?
S.D. : Un moment décisif a été la prise de conscience que lorsque le thérapeute prend soin de lui-même, il a quelque chose de précieux à offrir. L’attention que je porte à mes propres besoins est essentielle. Si mon métier devient une contrainte, ma présence en pâtit. En pratiquant d’une manière qui me semble juste, je peux offrir quelque chose de plus authentique.
Pauline : C’est-à-dire ?
S.D. : Lorsque le patient voit que le thérapeute prend du plaisir à une activité, cela peut le surprendre. Il pourrait se demander : « Je ne paie pas ce professionnel pour qu’il prenne du plaisir. Son engagement sera-t-il aussi sérieux à l’extérieur qu’en cabinet ? » Pourtant, je maintiens une écoute active pendant 45 minutes, en mobilisant ma créativité. Je prends souvent des notes vocales que je consigne ensuite dans le dossier pour assurer un suivi.
Pauline : Oui, il pourrait se demander : est-ce qu’il travaille ou est-ce qu’on va simplement papoter ?
S.D. : Exactement. Ce n’est pas une simple discussion informelle. Le cadre reste intact, dans le respect du temps et du vouvoiement. Ce cadre se déplace dans un espace naturel, où la nature sert de support, et bien au-delà…
[1] Bernard Ollivier, « Expérience de marche thérapeutique pour adolescents en grande difficulté », C@hiers du CRHiDI. Histoire, droit, institutions, société [En ligne], Vol. 32 - 2009, 285-288 URL : https://popups.uliege.be/1370-2262/index.php?id=829.